jeudi 11 février 2010

Coupe / coupe

J'aime l'idée – je la trouve résolument moderne – d'utiliser les formes fixes du passé pour composer une poésie qui soit contemporaine. Ma langue n'est pas celle de Cément Marot, pas celle de Baudelaire et ce n'est pas en pratiquant telle forme moyenâgeuse ou en composant un sonnet que je cours le risque de leur ressembler.*
J'ai donc commencé à composer, depuis un peu plus d'un mois maintenant, des fatras que j'ai voulu "dans les règles" : respect de la formule métrique et vers isométriques.
Mais tout en étant satisfait de cette voie, j'ai ressenti à la lecture** une légère gêne. J'ai senti poindre une sorte de ronron dans les vers, que j'avais envie de casser. Et, dans en même temps, j'étais plutôt satisfait des lignes composées… Que faire ?***
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Ce ronron dont je parle, évidemment, provenait du double marquage rythmique superposé (???) de la rime et des fin de vers. Je vous sens dubitatif. Vous allez me dire qu'il n'y a rien de plus normal, qu'une rime tombe toujours à la fin d'un vers. Oui, c'est vrai, bien sûr, vous avez raison. Et c'est une étrange réaction pour un poète qui se veut formaliste d'en être "incommodé".
Mais – comme dire ? – dans le cas du fatras (comme pour d'autres formes poétiques), avec sa marche sur deux rimes croisées (AB Ababab Babab), j'ai ressenti comme une envie de polyrythmie. Je voulais que les vers composés de manière "orthodoxe" soient là et qu'en même temps on puisse entendre chose.
Alors j'ai décidé de découper les vers autrement, tout en restant sur un poème de 13 lignes.
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Ici je crois qu'un exemple s'impose.
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Prenons le fatras de la semaine 5. Le voici dans sa version première :
Mouvement la machine en son centre
qui flèche des objets dans le temps
Mouvement la machine en son centre
impossible immobile pourtant
posté sur, caché sous, un re- ventre
rien ne peut expliquer ce qui tend
la corde la défibre et dans l'entre-
deux le jour comme doute constant
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D'eux le jour comme double constant
sorte d'arc à rejouer la montre
au-dessus des étés des étants
au-dessous tout le sens à l'encontre
qui flèche des objets dans le temps
Et voici le fatras alternatif que je compte finalement adopté :
Mouvement la machine en son centre
qui flèche des objets dans le temps
Mouvement la machine en son
centre / impossible immobile pourtant
posté sur, caché sous, un re- ventre / rien
ne peut expliquer ce qui tend / la corde
la défibre et dans l'entre-
deux le jour comme doute constant
-
D'eux
le jour comme double constant /sorte d'arc à
rejouer la montre / au-dessus des étés des étants / au-dessous
tout le sens à l'encontre / qui flèche
des objets dans le temps
Dans la deuxième proposition, à la forme originelle, qu'on peut toujours entendre grâce aux rimes et à la mesure implicite, se superpose un deuxième type de vers, "libre" si on veut, qui vient, légèrement, modifier la lecture rythmique du poème. Qui crée en tout cas un éclairage autre : c'est le même paysage, le même parcours d'un point a vers un point b, mais des bifurcations sont proposées, des chemins de traverses qui amènent le lecteur à faire un pas de côté par rapport à la route tracée.
Enfin… je crois. C'est comme ça que je le vois. Et, jusqu'à preuve du contraire, les différents résultats me conviennent plutôt bien.
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Bon, je cause, je cause et je m'aperçois que je n'ai toujours pas dit comment je réglais l'alternance des mètres d'un poème à l'autre. Ce sera pour une autre fois.
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* Qu'on s'entende bien : Marot ou Baudelaire, comme tous les grands poètes du passé, sont à mes yeux des "modernes". Leur ressembler dans leurs modernités, ça oui je veux bien !
** Je relis beaucoup, pour moi-même, à haute voix, les poèmes sur lesquels je travaille.
*** Non, non, aucun rapport…
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p.s. : ça n'a aucun rapport mais j'ai découvert sur le site des éditions Cynthia 3000, un article critique de Grégory Haleux qui analyse brillamment, et posément la polémique dont il était question.

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